Compagnie B
Opéra, 7 janvier
La vie de Lorenzo Da Ponte (1749-1838) fut un roman, digne des immortels livrets qu’il a écrits pour Mozart : Le nozze di Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte. Da Ponte, lui-même, s’en était avisé : en 1830, arrivé presque au terme d’une existence aussi longue que mouvementée, il écrivit ses Mémoires. Si le volume n’est pas totalement fiable, il offre une lecture savoureuse. Aussi est-ce une excellente idée que de le porter à la scène, lieu privilégié où Da Ponte, montrant son talent, connaît mille et un avatars.
Marie-Louise Bischofberger et Dominic Gould, pour cette coproduction entre Opera Fuoco, l’Opéra de Massy et la Philharmonie de Paris, ont construit un livret qui a le mérite de résumer lisiblement la carrière de Da Ponte, en l’illustrant grâce à pas moins d’une quarantaine d’airs, qu’interprètent deux chanteuses et trois chanteurs. Contrairement à ce qui s’est passé récemment à l’Opéra de Lyon, avec Candide de Leonard Bernstein (voir O. M. n° 189 p. 45 de février 2023), la mise en scène de Marie-Louise Bischofberger évite le piège de la version de concert déguisée. Quant à Dominic Gould, il incarne, avec humour, un Da Ponte jeune, et, à l’aide d’une longue perruque blanche, âgé.
Placé au centre du plateau, l’Orchestre Opera Fuoco est flanqué par deux petites scènes : celle de gauche, avec un fauteuil et un écran pour les vidéos, évoquant les villes où vécut Da Ponte ; celle de droite, avec une table surmontée d’un lustre de cristal. Cette disposition présente un inconvénient : il lui arrive de couvrir les voix. David Stern conjugue allant et vivacité pour diriger la phalange qu’il a créée, passant avec dextérité d’un compositeur à l’autre. Mozart est évidemment à l’honneur, avec près de trente airs, mais on peut aussi découvrir des morceaux d’Antonio Salieri (1750-1825), Vicente Martin y Soler (1754-1806) et Peter von Winter (1754-1825).
Curieusement, l’enfance et la jeunesse du héros n’apparaissent que vers la fin : né Emanuele Conegliano, d’un père juif cordonnier, qui se convertit et mit l’adolescent au séminaire, Da Ponte devient prêtre. Ce qui ne l’empêche pas, par la suite, de se marier, pour finir à la tête d’une nombreuse famille… Sont évoquées, ici, les femmes séduites et les villes parcourues : Venise, Vienne, Prague, Dresde, Londres et, pour finir, New York.
La soirée s’ouvre sur Don Giovanni, l’invitation à dîner et le duel avec le Commandeur. Face à Aymeric Biesemans, Halidou Nombre prête sa belle voix grave et sa prestance au libertin qui, selon Da Ponte, serait inspiré de son ami Giacomo Casanova. Dans Cosi fan tutte, Axelle Fanyo interprète, avec verve, « È amore un ladroncello », tandis qu’Halidou Nombre chante, avec fougue, « Donne mie, la fate a tanti ». En robe rouge, parée de quatre rangs de perles, Anne-Lise Polchlopek ressuscite élégamment Il ricco d’un giorno de Salieri, et Axelle Fanyo fait entendre Il burbero di buon cuore de Martin y Soler.
Après ces deux airs enjoués, injustement tombés dans l’oubli, on revient aux valeurs sûres, avec Le nozze di Figaro (« Porgi, amor » et « L’ho perduta ») par Axelle Fanyo , et le retour d’Halidou Nombre en libertin (« Finch’han dal vino »). Suivent deux nouvelles raretés, L’arbore di Diana de Martin y Soler et Axur, re d’Ormus de Salieri.
Guy Elliott donne beaucoup de charme à son air « Un aura amorosa » (Cosi fan tutte), avant de retrouver les chanteuses pour « Mi lasci, o madre amata », trio extrait d’Il ratto di Proserpina, œuvre complétement oubliée de Winter – un souvenir de Londres, où Da Ponte passe treize ans, à la tête du King’s Theatre. En 1805, il arrive à New York, tour à tour épicier et marchand de vin, avant d’assurer la création américaine de Don Giovanni, avec la toute jeune Maria Malibran en Zerlina, et d’ouvrir un Opéra italien.
L’accueil du public de Massy est chaleureux, augurant bien de la poursuite d’un spectacle aussi instructif que divertissant.
BRUNO VILLIEN